Après Kadhafi, Poutine ?


Après Kadhafi, Poutine ?


Point de vue | LEMONDE.FR | 13.12.11 | 10h55   •  Mis à jour le 13.12.11 | 13h28

Vladimir Poutine et Mouammar Kadhafi, en 2008.
Vladimir Poutine et Mouammar Kadhafi, en 2008.AFP/ALEXEY DRUZHININ
Pourtant, l'année devait finir en apothéose pour le numéro un de Russie. Son étoile brillait au plus haut. Il avait décroché les Jeux olympiques, la Coupe du monde de foot, des stars hollywoodiennes et françaises dûment rémunérées se pressaient à son anniversaire, le monde des paillettes et des puissants souriait au pétrotsar. L'ouverture automnale du gazoduc de la Baltique en direct vers l'Allemagne couronnait son contrôle quasi absolu des ressources énergétiques de l'Union européenne. Ensemble Merkel, Fillon et Medvedev avaient salué cette mainmise – un axe Moscou-Berlin-Paris (dans cet ordre de préséance), souligne Immanuel Wallerstein, professeur de géopolitique à Yale.
Coup double : Poutine se désignait "candidat" élu d'office à la présidentielle de 2012, avec la perspective assurée de garder le Kremlin jusqu'en 2024 et d'atteindreun record de longévité soviétique. Coup triple : le prix Confucius. Ce contre-prix Nobel de la paix, mitonné par la Chine communiste pour faire pièce à Liu Xiaobo (lauréat du Nobel en 2010 toujours incarcéré), est décerné cette année à l'Ami russe. Les attendus le sacrent (sic) héros de la résistance aux interventions occidentales en Libye, champion du veto face à toute sanction onusienne visant son complice ès assassinats de masse, Assad le Syrien, et, last but not least, parangon de la lutte "antiterroriste" version postcommuniste – soit plus de 200 000 Tchétchènes tués sur une population de moins d'un million d'habitants. Incontesté en Europe, autocrate permanent à Moscou, tueur au Caucase, coparrain planétaire (avec les Chinois) de tous les despotes du jour, de l'Iran à la Corée du Nord, Vladimir Vladimirovitch lisait son avenir en rose.
Avant le défi des élections du 4 décembre, le projet "eurasiatique" du Kremlin semblait vainqueur à tous les coups. Contre l'Alliance atlantique, toujours désignée ennemi numéro un de la sacro-sainte Russie, contre "l'illusion" des droits de l'homme, le nouveau "bloc Confucius" Pékin-Moscou paraissait stable et sûr de lui. Le Kremlin hérissait ses frontières avec l'Europe de missiles, croquait ses "voisins proches", enterrait la démocratie en Ukraine et occupait 20 % de la Géorgie…
Face à la crise économico-politique qui ravage l'Occident démocratique, voilà un modèle propre à séduire possédants et hommes d'ordre des cinq continents. L'axiome des anciens du KGB (Gestapo soviétique) semblait se vérifier: la fin de l'empire soviétique – Poutine dit : "La plus grande catastrophe géopolitique du XXesiècle" – n'était pas la fin de l'Histoire, mais un accident réversible. La "verticale du pouvoir" à la russe et le "despotisme éclairé" façon chinoise promettaient de l'emporter sur la pagaille démocratique. Dans le sillage de la grande crise de 1929, des dictatures policières et arrogantes, à la fois rivales et alliées, décidèrent des malheurs du monde. Bis repetita non placent.
A l'Ouest, chez nous, quantité d'experts et de responsables s'abusent sur la solidarité, la puissance, voire la sagesse des autocrates postsoviétiques et postmaoïstes. N'allions-nous pas espérer qu'ils sauveraient l'euro gratuitement et en toute bienveillance? Allons donc ! Le début de panique suscité par les révoltes du "printemps arabe" indique combien les potentats "eurasiatiques" sont moins assurés que nous de la pérennité de leur pouvoir. Sur le Net chinois, toute évocation du jasmin est biffée. Pourquoi ? Tunis n'est pas Pékin ni la petite Tunisie l'immensité chinoise ! Même désarroi à Moscou, où la moindre contestation – Poutine sur un ring sifflé par la foule – évoque l'apocalypse, entraînant illico un redoublement de censure.
Malgré le blocage des réseaux sociaux, le brouillage de la blogosphère, les attaques de hackeurs sur les sites indépendants, malgré les télés univoques, malgré le bourrage insolent des urnes, la falsification des bordereaux de comptage électoraux, les intimidations tous azimuts, malgré l'ordre intimé aux gouverneurs d'obtenir coûte que coûte 65 % de votes "corrects", le parti officiel Russie unie se voit dégradé comme "parti des voleurs et des tricheurs".
Les Russes ne sauraient mieux signifier que leur Etat est sans foi (tricheurs) ni loi (voleurs). Ils le savent, ils le vivent. A qui faire croire que 99,48 % des Tchétchènes aient voté "librement" pour leurs assassins ? La corruption règne en maître, du plus haut au plus bas, et relègue la grande Russie au rang de la Somalie, derrière le Zimbabwe, sur l'échelle dressée par Transparency International. En 2011, l'argent de la corruption s'évalue à 300 milliards de dollars (30 milliards les années précédentes), les poches des galonnés sont insatiables. Dix ans de Poutine, dix ans de prédateurs serviles ont vérifié le diagnostic de Mikhaïl Khodorkovski, ancien oligarque, désormais prisonnier politique ad infinitum pour avoir découvert que le tsar était nu, incapable et pourri. Que dit-il? Que la corruption mondialisée est un danger pire que le nucléaire.
L'énorme manne pétro-gazière n'a pas entraîné la réindustrialisation de la Russie. Une fois la consommation des classes moyennes urbaines chichement épongée, les immenses fortunes s'investissent hors des frontières. Tout se passe comme si 50 % de la population se composait de bouches inutiles, vouées au mal-être et à la grande misère, condamnées à subir l'ivrognerie, la prostitution, les maladies (tuberculose et sida en tête), pas soignées faute de moyens.
Où va le fabuleux trésor non investi en Russie ? Il vient chez nous. Entre les mains des despotes et des oligarques à leur botte, voilà une formidable force de nuisance. La corruption s'avère une maladie contagieuse et le poutinisme une vérole sans frontières. Osons regarder en face le mal russe, il y va de notre avenir. Sans liberté d'examen et de critique, sans pouvoir d'information et d'expression échappant à l'autorité des autorités, il n'y a pas de limites au pouvoir de destruction de la corruption postmoderne.
La question du XXe siècle fut : totalitarisme ou démocratie ? La question du jour est : démocratie ou corruption. Les Russes commencent à la poser. A nous de lesentendre. Nul ne sait ce qu'il adviendra dans les mois qui viennent, pareille incertitude est déjà une victoire de la liberté. La Russie de Pouchkine n'est pas morte. Balaiera-t-elle la Russie de Poutine?

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