Les trop maigres concessions de M. Poutine
Editorial du "Monde" | | 13.12.11 | 11h31 • Mis à jour le 13.12.11 | 13h24
Saturées de corruption et de fraude, lasses de l'autocratie au pouvoir, les classes moyennes sont descendues dans la rue. La colère, aujourd'hui, n'émane pas tant des masses populaires que de la frange la plus instruite de la population, celle qui a accès à Internet et aux réseaux sociaux, employés du secteur privé, intellectuels jusqu'ici plus sensibles au confort de la vie académique et des voyages à l'étranger qu'aux manifestations de rue.
Ce scénario vous paraît familier ? Rien de plus naturel : plusieurs capitales arabes en ont été le théâtre cette année. Il est devenu le cauchemar des régimes autoritaires de la planète. Vladimir Poutine pensait en être préservé, il s'est trompé. C'est aujourd'hui dans les rues de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de Vladivostok qu'il se joue.
C'est précisément pour l'éviter que, le 4 décembre, jour des élections au Parlement, les autorités russes ont paralysé les sites Internet des médias les plus critiques. Le calcul était de masquer ainsi la fraude organisée à une échelle massive pour assurer le maintien au pouvoir de Russie unie et d'empêcher toute mobilisation populaire. Mais l'activisme citoyen né sur les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille ont déjoué ce calcul. Révélée au grand jour, la fraude a provoqué un retour de bâton en temps réel, et même le bourrage des urnes n'a pas permis à Russie unie d'atteindre 50 % des voix.
Enfin lucide sur l'état de l'opinion publique, le tandem Poutine-Medvedev a, depuis, tenté de lâcher du lest. M. Medvedev a annoncé une enquête sur la fraude électorale, et, surtout, des manifestations ont été autorisées le 10 décembre. Des dizaines de milliers de Russes ont ainsi pu exprimer leur mécontentement sansêtre brutalement réprimés – une rupture salutaire avec une pratique bien établie. Il faut dire que plusieurs des porte-voix de l'opposition, comme Alexandre Navalny, le blogueur héraut de la lutte contre la corruption, condamné à deux semaines de prison, avaient déjà été mis hors d'état de nuire.
Ces quelques concessions suffiront-elles ? Bien avant les manipulations du scrutin du 4 décembre, la décision de M. Poutine, premier ministre, d'échanger son poste en 2012 avec le président actuel, Dmitri Medvedev, avait ulcéré ces mêmes classes moyennes et provoqué un premier électrochoc. Comme l'a souligné, dimanche, Alain Juppé, chef de la diplomatie française, "les peuples n'aiment pas trop qu'on joue avec les processus démocratiques".
Pour se maintenir au pouvoir, M. Poutine comptait à la fois sur sa popularité personnelle et sur la sécurité économique assurée par les revenus du pétrole. La corruption, l'inefficacité et la frustration populaire ont fragilisé son assise.
La logique voudrait, s'il est aujourd'hui capable d'entendre le message qui monte des urnes et de la rue, qu'il entreprenne enfin des réformes structurelles, économiques et politiques. Cela reviendrait, en réalité, à s'attaquer aux fondements mêmes du système qu'il a bâti. Mais Vladimir Poutine n'a plus guère le choix.